5.5.13

Le poids des mots

Il n'avait pas été choqué par les photos, mais depuis hier, depuis qu'il avait refermé le magazine, feuilleté dans la salle d'attente du dentiste, il se posait beaucoup de questions sur le poids des mots. Avaient-ils tous le même poids ? Et comment les pesait-on ? Existait-il un instrument de mesure ? Quel est le mot qui servait d'étalon ? Si les mots avaient un poids, forcément, les lettres devaient, elles aussi, peser quelque chose. "Anticonstitutionnellement" était sûrement le mot le plus lourd de tous. Mais, comment faire la différence entre deux mots composés du même nombre de lettres. Par exemple : "plume" et "plomb". Comment savoir lequel pesait le plus lourd des deux ? "u" et "e" feraient-ils pencher la balance de leur côté, si l'on posait "o" et "b" sur l'autre plateau ? Comment savoir ? D'ailleurs "léger" avait tout autant de lettres que "lourd"... Et pourtant... "lourd" apparaissait d'emblée bien plus lourd que "léger". Mais était-ce vraiment le cas ? Il n'en savait rien. Il n'arrivait pas à trancher. Sa perplexité augmenta quand, plongé dans ses réflexions, il rencontra un problème supplémentaire : celui des lettres capitales, probablement plus pesantes que les lettres minuscules. Ça semblait évident. D'où l'importance des noms propres pour la plupart des gens. Généralement, on accordait plus de considérations aux choses lourdes, massives, telle que l'or par exemple. Mais comment l'or pouvait-il avoir une valeur supérieure au plomb qui comptait trois lettres de plus que le précieux métal ? Question de transmutation, se dit-il. Il lui faudrait certainement se renseigner auprès d'un spécialiste. Il écrasa sa dernière cigarette dans le cendrier noirci, se leva pour enfiler son manteau, sortit de chez lui, et, toujours pensif, incertain, d'un pas mi-lourd, mi-léger, traversa, sous la pluie, le jardin pour se rendre chez l'alchimiste, son voisin.

2.5.13

Le chauffeur de tracteur

Le tracteur de son imagination traîne à sa remorque la cargaison de ses illusions défuntes : un tas de cadavres en état de décomposition avancée. Même les mouches les plus affamées s'en tiennent éloignées. Au lever du jour, sous un ciel blafard, la machine roule lentement en direction de la fosse commune. Le chauffeur ivre de dégoût suit la route d'un œil hagard, l'esprit fermé. Sa cargaison déchargée, la fosse comblée, il va se recoucher. Rendormi, son sommeil est peuplé de cauchemars, de rêves à l'agonie. Le chauffeur les entasse, écœuré, dans la remorque de son tracteur fatigué.

1.5.13

Travail

Travail. Travail. Travail. Encore travail. Toujours travail. Pour le poète, pas de jour de fête. Pas de premier mai, pas de deuxième mai, ni de troisième. Jamais sa tête n'a chômé. Le vers à un pied, deux pieds, trois pieds, le vers de travers ne cessent d'avancer. Le poète ne sait rien des dimanche, ignore les jours fériés. Premier mai ou dernier mai, pas de congé. Travail. Travail. Travail. Encore travail. Toujours travail.